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Les axes de recherche 2013 - 2017

Pour la période 2013-2017, L’IRIST poursuit son projet portant sur :

Sciences, technologies, sociétés : Le travail de création (processus, conditions, contraintes)

Ce projet prolonge les réflexions traditionnelles de l'IRIST sur les rapports multiples, et souvent complexes, entre la création de savoirs et leur mise en société. Il vise à une compréhension extensive de ce que signifie « être créatif » dans les activités scientifiques et technologiques, en examinant à la fois les conditions et conséquences historiques, politiques et sociales qui entourent, et parfois contraignent, le travail créatif, ainsi que les processus cognitifs et épistémiques qui portent et accompagnent ce travail. Il nous impose donc de problématiser la notion même de créativité, aujourd’hui omniprésente.

Nous étudions, outre les activités propres aux laboratoires académiques, certains dispositifs qui, bien que situés hors laboratoire, permettent néanmoins de « fabriquer de l’avenir ». De tels dispositifs s’inscrivent dans une multitude de situations et de contextes bien différents, car ils s’incarnent en institutions scientifiques comme la clinique ou les agences internationales, aussi bien qu’en œuvres de fiction. A la faveur de cette pluralité de perspectives, nous irons au plus près des pratiques quotidiennes des scientifiques et des médecins, pour étudier cette forme de créativité que nous appellerons faute de mieux « la micro-créativité ». Il s'agira notamment ici d'examiner les pratiques de différentes institutions, et notamment celles de l’hôpital : comment justifier de parler de la créativité dans un tel contexte, où la routine tend à prendre le dessus et où la créativité est diluée jusqu'à en devenir invisible ?

Notre recherche est organisée en deux orientations : 


1. Le travail de création comme processus

La créativité met en jeu de manière indissociable des dispositions individuelles, des circonstances éphémères et des agencements sociaux durables. Comme le montrent  nombre d’études récentes, les nouveaux concepts en sciences ne surgissent pas d’un seul coup comme Athéna de la tête de Zeus, mais résultent des processus longs toujours ancrés dans des contextes cognitifs, sociaux et culturels précis qu’il importe d’identifier (Nancy Nersessian, 2008). Nous examinons le processus de la création sous quatre aspects :

a/ L'émergence des objets de recherche nouveaux

Dans le contexte de la production des connaissances et de conditions plus ou moins propices à la créativité, on peut s’interroger sur les modalités d’émergence ou de disparition de certains objets en tant que sujets d’enquêtes scientifiques. Comment choisissons-nous nos objets de recherche ? Qu’est-ce qui fait que nous portons notre attention sur tel objet, et non sur tel autre ? Lorraine Daston (2000) parle ici d’une métaphysique appliquée qui « étudie un monde dynamique par rapport à ce qui émerge et disparaît de l’horizon des chercheurs ». En ce sens, la réalité apparaît être une affaire de degrés : un phénomène peut devenir plus ou moins réel, selon la façon dont le chercheur est impliqué dans une pensée ou une pratique scientifique.

b/ Variété des analogies et créativité

Parmi les voies suivies par le travail de création, on trouve le rapprochement, la métaphore, la perception aspectuelle. L’idée est ici de distinguer, au sein du concept vague et polysémique d’analogie, des figures différenciées par leurs effets cognitifs. Comme la création et l’innovation scientifique et technique naissent souvent aux interfaces entre disciplines, on fait un appel répété à développer l’interdisciplinarité dans nos systèmes d’enseignement supérieur et de recherche. La raison pratique de cette fécondité se trouve dans la rencontre de contenus, méthodes et pratiques scientifiques, qui provoquent une fertilisation croisée de savoirs pluriels autour d’un même objet, et son fondement épistémique réside en le choc, lors de cette rencontre, de ces deux zones de sens que A. Koestler (1964) appelait « deux matrices sans relations antérieures ». Ce choc produit une analogie, ou une métaphore, dont la dimension cognitive consiste en la création de catégories psychologiques inédites qui viennent recombiner les points de vue, contenus, méthodes et pratiques précédents, et de telles recombinaisons débouchent parfois sur des bouleversements épistémologiques majeurs. L’analogie et la métaphore en viennent alors à être vues comme des vecteurs privilégiés de créativité.

c/ Controverses scientifiques et sociotechniques et co-construction de connaissances nouvelles

Dans nos sociétés fondées sur la connaissance, le savoir et les compétences sont distribués et situés, au sein du monde académique, mais également parmi ce qu’il est convenu d’appeler les « profanes ». Ces sociétés se veulent innovatrices, et elles cherchent pour cela à exploiter les gisements de créativité existant parmi l’ensemble des acteurs, ainsi qu’à instaurer des conditions favorables à l’émergence de gisements inédits. Nous proposons de porter notre analyse aussi bien sur la rencontre entre des experts scientifiques d’origine et de compétences diverses que sur la rencontre entre mondes académique et profane, explorant la fertilisation croisée issue de la rencontre de contenus, méthodes et pratiques différentes a d’autant plus de chances d’être féconde que ces contenus, méthodes et pratiques sont ceux d’univers cognitifs et sociaux différents. Nous  analyserons le travail créatif issu de ces rencontres à un niveau théorique, ainsi que dans le cadre d’une recherche-action, ou encore dans celui du fonctionnement des institutions scientifiques et politiques.

d/ La mise en scène de la créativité scientifique et médicale dans les œuvres de fiction

Quelle est la place de la fiction dans l’entreprise d’appropriation par l’ensemble des acteurs de la société de la nouveauté (artefacts, mode de pensée, etc.) engendrée continuellement par les sciences et la médecine ? La présence massive des processus et des produits (réels ou imaginaires) de la créativité scientifique et médicale peut être relevée par tout un chacun dans les récits  proposés par la littérature, le cinéma, la bande dessinée. En prenant pour corpus un ensemble d’œuvres appartenant à ces différents modes d’expression artistique, nous formulerons l’hypothèse qu’il ne s’agit pas là d’un hasard. Tout au contraire, cette créativité est ce qui permet au récit de fonctionner de manière particulièrement efficiente.

2. Les conditions et contraintes du travail de création

Il ne serait guère pertinent d'adopter sur la créativité un point de vue entièrement descriptif, car le concept de création est hybride, à la fois descriptif et normatif. Par le fait même que le travail créatif implique une révision radicale des idées reçues en science, la créativité entraîne ce que nous avons appelé plus haut un « effet normatif ». Elle instaure à ce titre certaines valeurs qui font partie intégrante des conditions du travail de création à venir. Quelles sont les conditions qui permettent des actes créatifs ? Quelles sont les contraintes entre lesquelles peuvent se déployer les pratiques scientifiques ou médicales ? Dans quelle mesure jouent-elles alternativement un rôle de frein ou de stimulant ? Pourquoi le contexte médical privilégie-t-il le terme d’ « innovation » au détriment de celui de « créativité » ? Dans cette deuxième orientation, nous examinerons les conditions et les contraintes du travail de création à partir des objets de réflexion suivants :

a/ La microcréativité dans l'acte clinique

L’acte clinique (diagnostique et thérapeutique) est encadré par des normes multiples. Examiné au niveau des pratiques quotidiennes, l’acte clinique comporte néanmoins presque toujours une dimension que l’on peut désigner comme novatrice, improvisée, expérimentale. Du point de vue de la philosophie de l’action, par exemple, la mise en œuvre du jugement pratique correspond à la nécessité pratique d’agir sur le particulier, c'est-à-dire dans une situation contingente, où ce qui doit être fait ne peut être totalement prévu ni prescrit à l’avance. Du point de vue de la philosophie morale, la décision prise est un choix en situation d’incertitude quant au point d’équilibre conflictuel entre plusieurs principes. Du point de vue de l’acte de parole (car la clinique médicale baigne dans la narrativité), les effets d’interprétation ou l’impact performatif d’une « prescription » ne sont pas calculables a priori.

b/  L'appropriation des créations

La valorisation de la créativité ne peut se comprendre que si on étudie l’appropriation de la création. Un premier volet de cette recherche concerne la réception de la mise en place d’une nouvelle politique et d’une nouvelle institution. Un nouveau paradigme, une évolution législative ou un changement de politique de santé peuvent redécouper en parcelles à présent différentes le champ d’application de la médecine, et mener à des nouvelles interrogations éthiques en pratique médicale. Un second volet de cette recherche porte sur les modalités selon lesquelles les découvertes ou l’usage de nouvelles technologies peuvent étendre ou restreindre la pratique médicale, et conduire à une reconfiguration d’une politique de santé, d’une politique éducative, ou parfois provoquer des conflits de réception pour leurs destinataires. Un troisième volet de cette recherche sur les contraintes du travail de création concerne celles qui pèsent sur le travail du chirurgien. Celui-ci doit sans cesse innover, alors qu’une thérapeutique nouvelle, avant d’être complètement maîtrisée, peut être comprise comme s’écartant de l’état de l’art, notamment par le juriste.

c/ Les conditions et les contraintes relatives à la production et à la diffusion des images scientifiques

La production et la diffusion des images constituent un bel exemple pour qui souhaite se pencher sur la dépendance du chercheur, oeuvrant au sein des sciences de la nature, à l’égard des ressources techniques – en particulier instrumentales –, des modalités expérimentales, des exigences méthodologiques, des normes de publication des résultats. Quels sont les effets de la soumission à un tel ensemble de conditions et de contraintes en ce qui concerne la créativité de l’individu ou de l’équipe de recherche ? Comment des types d’images nouveaux peuvent-ils apparaître parfois dans des cadres qui se révèlent de prime abord de plus en plus limitatifs ?